Le Yoga, une histoire de performance non ?
Un article de Mathilde Durand, professeure de yoga formée par Chakra Flow®
On nous dit depuis toujours que le Yoga, c’est avant tout, le détachement et le lâcher-prise. Initialement, les personnes découvraient le yoga pour se détendre, après un burn out, au cours d’une remise en question existentielle ou simplement lors d’une quête de bien-être. Le yoga est maintenant principalement une pratique posturale telle qu’on en parle tous les jours. Cela ne signifie pas que le Yoga doit être facile et sans complication.
Néanmoins, je m’interroge. Pourquoi durant chaque cours, avons-nous des attentes, des jugements, des objectifs ? Nous venons avec des attentes physiques, posturales, d’accueil, de présentation du lieu, de consommation. Nous pouvons nous demander s’il n’y a pas un écart qui se crée entre ce que nous voulons et ce que nous faisons du yoga.
Le yoga se veut fondamentalement inclusif, cependant, la pratique telle que nous la trouvons la plupart du temps l’est-elle vraiment ? La notion de performance avec soi-même et au travers des autres ne tend-elle pas à être, au contraire, excluante ?
Le Yoga, et La Culture de la Compétition
La performance comme héritage sociétal ?
Les sociétés occidentales et néolibérales valorisent souvent la productivité, la réussite et la compétition. Ces valeurs sont ancrées dans nos institutions, éducations et façonnent notre quotidien. Nous pouvons les retrouver dans presque tous les aspects de notre vie, y compris les activités de loisir et bien-être, comme le yoga.
C’est dans notre nature d’évoluer. Il est donc normal de vouloir progresser dans tous les types de domaines dans lesquels nous nous investissons. Cependant, dans le sport comme dans le yoga, la pratique devient un terrain où les individu.es cherchent à « exceller », même dans un contexte qui prône la bienveillance, le lâcher-prise et l’acceptation.
Nous voulons toujours faire mieux, plus vite, plus vite que les autres, plus de postures.
Dans notre société, la réussite personnelle est souvent mesurée par des standards de performance. Que ce soit dans le domaine académique, professionnel, ou sportif, l'individu.e est encouragé.e à se surpasser constamment pour atteindre des objectifs quantifiables et comparables. Cette mentalité se retrouve dans toutes les sphères de la vie, y compris dans des activités qui, historiquement, n'ont pas vocation à être compétitives.
Dans le contexte du yoga, cela se traduit par une quête de maîtrise technique. Les pratiquant.es cherchent à atteindre ou à maîtriser des postures complexes (souvent appelées "avancées") pour se prouver quelque chose à eux-mêmes ou pour impressionner les autres. Mais aussi par l’importance accordée au progrès visible. L'idée de progression devient centrale. On mesure sa "réussite" en yoga par des critères externes (postures atteintes, durée de pratique, apparence physique) plutôt que par des critères internes, comme le calme mental ou l’équilibre émotionnel, la connaissance de son corps et ses ressentis.
Les pratiquant.es perçu.es comme moins performant.es peuvent se sentir exclu.es ou au mauvais endroit, favorisant alors un climat d’élitisme et un environnement excluant.
Cette dynamique compétitive favorise une division implicite, où certaines pratiques ou postures sont valorisées comme des symboles de réussite.
Ainsi, dans un environnement compétitif, les pratiquant.es peuvent inconsciemment (ou consciemment) se comparer aux autres, créant un climat de pression pour « bien faire » ou « faire mieux » que les autres.
Le yoga et L'Influence des Réseaux Sociaux
Une esthétisation de la pratique ?
Les réseaux sociaux sont devenus omniprésents, jouant un rôle central dans nos vies personnelles, sociales et professionnelles. Ils ont transformé la façon dont nous communiquons, consommons des informations, et participons à des activités communautaires. Ce qui inclut des pratiques comme le yoga, qui a largement migré vers ces plateformes pour atteindre un public plus large. Comprendre leur influence sur nos modes de fonctionnement, mais aussi sur notre pratique et enseignement du yoga est crucial.
On retrouve sur les réseaux sociaux, une dominance des postures complexes et avancées. Les publications tendent à mettre en avant des asanas qui sont physiquement exigeantes, comme les inversions ou les grands écarts et arm balances. Ces poses impressionnantes sont perçues comme des accomplissements et attirent plus facilement l’attention des viewers et des studios de yoga.
Dans certains cas, nous pouvons rechercher à travers ces postes et story, la recherche de validation externe. Les likes, commentaires et partages sur ces plateformes renforcent l'idée que la performance physique est un moyen d'obtenir de la reconnaissance sociale, même dans une activité comme le yoga. Ces problématiques ne touchent pas que le yoga, mais sont au cœur des problématiques que nous pouvons retrouver de nos jours.
Les réseaux sociaux peuvent aussi parfois faire la promotion de corps normatifs avec une représentation homogène. Ils valorisent souvent des corps jeunes, minces, souples et quasiment exclusivement blancs, renforçant des normes esthétiques restrictives.
Nous pouvons aussi retrouver des effets d’exclusion psychologique. Les personnes dont le corps ne correspond pas à ces modèles peuvent ressentir un sentiment d’inadéquation ou de rejet, les amenant à croire que le yoga n’est pas “fait” pour iels. Souvent, cela peut engendrer de fausses croyances à propos de son corps, mais aussi de sa pratique.
Malgré les critiques légitimes sur leur rôle dans la culture de la performance et l’esthétisation du yoga, les réseaux sociaux apportent également des avantages indéniables à la pratique et à son enseignement.
Ils permettent d'élargir l'accès au yoga, de construire des communautés et de sensibiliser à des approches plus inclusives. De plus en plus, nous pouvons retrouver des comptes à contre-courant qui reprennent la main sur ces injonctions pour les identifier et les déconstruire. Les réseaux font partie de nos vies et il serait très hypocrite de dire l’inverse. Les réseaux nous offrent des ressources riches et diverses afin de nous éduquer, apprendre et déconstruire. C’est aussi ce qui fait de ces plateformes un endroit militant.
Au-delà des réseaux sociaux, il est vrai que nous pouvons constater que le yoga, dans certains cas, est une pratique esthétisée. Cette vision crée une confusion entre la finalité du yoga et son apparence extérieure. Un.e pratiquant.e peut croire que la qualité de sa pratique est liée à sa capacité à reproduire ces postures "idéales", sans se soucier des sensations intérieures ou de l’adaptation nécessaire à son propre corps. Souvent on ne cherche pas à comprendre son corps et ses ressenties, mais à vouloir reproduire une posture. On constate cela notamment avec les alignements qui nous sont enseignés dans le yoga.
Cette quête de perfection visuelle se reflète dans l’enseignement, où des alignements rigides sont parfois imposés comme "corrects" ou "idéaux". Ces directives sont basées sur une standardisation des postures, sans considération pour la diversité anatomique des individus. Par exemple, il est souvent enseigné qu’un guerrier doit avoir un angle parfait de 90° au niveau du genou ou que les deux hanches doivent être alignées en Guerrier I, pied arrière à 45 degrés ou 90 degrés en Guerrier II.
Ces injonctions, bien qu’issues d’une intention pédagogique, se révèlent problématiques. Elles peuvent pousser les pratiquant.es à forcer leur corps pour atteindre une certaine esthétique, au détriment de leur confort et de leur compréhension. De plus, elles contribuent à une pratique élitiste, où celleux qui ne peuvent pas se conformer à ces standards se sentent exclu.es ou inadéquat.es à la pratique du yoga. Des idées comme quoi le non-respect des alignements pourraient entraîner à des blessures sont souvent diffusées. C’est ce qui peut entraîner parfois de la kinésiophobie chez les élèves. La peur du mouvement ou de certains mouvements. Ce type d’enseignement favorise aussi le manque de connaissance anatomique chez les élèves ce qui implique que ces dernièr.es vont pratiquer encore et encore pour atteindre une posture perçue comme complexe dans une quête de performance, mais qui ne sera peut-être jamais faisable pour leurs corps.
Attention, le but n’est pas de taper sur les doigts des professeur.es de Yoga, mais simplement de s'interroger sur les méthodes d’enseignements qui nous ont été transmises afin de les déconstruire. En tant que professeur.es de yoga, nous nous devons de pouvoir donner cours à tous.tes les élèves présent.es dans nos cours, peu importe leur historique de blessures, leur genre, leur âge etc.
Face à ces problématiques, l’approche fonctionnelle de Paul Grilley s’est imposée comme un contre-modèle. Fondée sur une compréhension approfondie de l’anatomie, cette méthode rejette les injonctions esthétiques et met l’accent sur les sensations, les besoins et les limites individuelles. Paul Grilley a popularisé l’idée que chaque corps est unique, en grande partie à cause des variations structurelles des os et des articulations. Ces différences individuelles signifient que chaque posture doit être adaptée au pratiquant, et non l’inverse. Par exemple, la forme du bassin, la longueur des os ou la mobilité naturelle des articulations influencent profondément la manière dont une posture est ressentie et exécutée.
Plutôt que de viser une posture "parfaite" selon des critères visuels, le yoga fonctionnel invite les pratiquant.es à explorer leurs propres limites et à trouver des variations qui leur conviennent. L’objectif n’est plus d’atteindre une forme figée, mais de ressentir les bienfaits spécifiques de la posture, qu’il s’agisse d’un étirement, d’un renforcement ou d’une relaxation.
Dans le yoga fonctionnel, l’intention derrière une posture est plus importante que son apparence. Si une posture vise à étirer les ischio-jambiers, peu importe que le dos soit parfaitement droit ou que les mains touchent le sol. Ce qui compte, c’est que la personne ressente l’effet de l’étirement sans douleur, ni contrainte excessive. Cette approche libère les élèves de la pression de performance et encourage une exploration bienveillante de leur corps.
Un autre pilier du yoga fonctionnel est l’adaptabilité. Les accessoires, comme les blocs, les sangles ou les coussins, ne sont pas considérés comme des aides pour "les débutants", mais comme des outils permettant à chacun.e de trouver une posture confortable et bénéfique. De plus, les variations et les modifications sont non seulement acceptées, mais encouragées, car elles permettent à chaque pratiquant.e d’explorer ce qui fonctionne pour iel.
Enfin, tout ça c’est bien beau, merci Paul Grilley, mais une question qui revient souvent quand on veut proposer du yoga, c’est, est-ce que ça fait vendre ?
Et oui, après tout, ne serait-ce pas une des questions primordiales autour de l’activité du Yoga ?
La Commercialisation et l’Industrie du Yoga
Comme expliqué au début de l’article, nous vivons dans une société capitaliste dans laquelle tout se consomme, se vend.
La commercialisation du yoga a transformé cette pratique en une industrie lucrative, mais cette transformation a introduit des barrières qui limitent l’accès et la diversité des approches. En s’orientant vers des modèles standardisés et axés sur la performance, l’industrie du yoga a créé une expérience souvent inaccessible ou inadaptée à de nombreux.ses personnes.
Nous pouvons nous interroger un instant sur les barrières financières du yoga qui devient de plus en plus un luxe. L'une des conséquences les plus évidentes de la commercialisation du yoga est son coût élevé, qui en fait une pratique inaccessible pour de nombreuses personnes. Le yoga est souvent beaucoup plus cher que d'autres options sportives, comme l'abonnement à une salle de sport ou les activités associatives, le rendant moins accessible pour ceux au budget serré.
En parlant d’industrialisation du yoga, parlons des retraites. Les retraites de yoga sont des séjours proposés par des professeur.es de yoga durant lesquels il est proposé de pratiquer dans un cadre idyllique, mais aussi de visiter le lieu, de faire des activités et de partager de bon repas ou autre. Elles sont souvent organisées dans des lieux d’exception et coûtent généralement plusieurs centaines à milliers d'euros. Les retraites sont régulièrement présentées comme des expériences de "transformation" ou de "reconnexion", mais leur coût ne permet pas à tout le monde d’en profiter.
Et oui le bien être, comme droit fondamental, mais pas accessible à tous.tes. On vend un yoga transformateur et guérisseur, mais disons-le, réservé à un public qui en a souvent le moins besoin.
Le Yoga devient une expérience de consommation, une approche commerciale de la “guérison". Ce phénomène le déconnecte de ses racines culturelles et spirituelles pour le réduire à un service payant dans lequel les participant.es recherchent principalement des bénéfices personnels dans un cadre idyllique. Aussi, l’impact écologique de ces retraites est à prendre en compte. Souvent proposées à l’étranger les élèves s’y rendent par avion en plus de leurs vacances habituelles.
De plus en plus, les retraites de yoga se ressemblent, avec des programmes standardisés, souvent organisés autour de thèmes populaires comme le bien-être, la détoxification ou la pleine conscience. Aussi, en offrant ces séjours, dans des lieux de rêve, souvent avec des conditions idéales pour la pratique du yoga, ces événements contribuent à renforcer l’idée que le yoga est une pratique élitiste liée à une recherche de perfection. Ils peuvent induire un sentiment d’inadéquation chez celleux qui ne peuvent pas se permettre ces expériences.
Heureusement, il n’existe pas que des retraites de ce genre. Nous retrouvons aussi des professeur.es qui organisent des séjours autour de thématiques inclusives et engagées en France. Le Yoga se pratique un peu partout et non uniquement dans de beaux endroits. Il faut y créer un espace où les participant.es se sentent en sécurité pour explorer leur pratique, poser des questions et échanger sans jugement. Il est important de mettre en place un cadre de respect mutuel et de bienveillance.
Dans ces mécanismes de consommation du yoga, nous retrouvons aussi souvent un autre problème profond : l’appropriation culturelle.
L’appropriation culturelle c’est “utiliser les codes spirituels, religieux, culturels dans un but consumériste et commercial” et “permet l'enrichissement de personnes d'un groupe en position de pouvoir au détriment de personnes anciennement colonisées”.
(pulandevii, get the culture right)
En Occident, le yoga a été décontextualisé, récupéré, et souvent réduit à une activité purement physique. Cela en plus d’être excluant, heurte les personnes dont le yoga fait partie intégrante de leur culture. Cela peut être perçu comme un déni de l'histoire et de la profondeur spirituelle du yoga. Ce phénomène peut également créer un sentiment de dévalorisation, car des éléments de leur culture sont "vendus" à un public plus large sans prendre en compte les principes d'égalité, de respect et d'honneur associés à ces pratiques. Ces phénomènes renforcent aussi les rapports de pouvoir déjà bien installés en France comme partout en occident, de privilégiés à minorités. Ce phénomène d’appropriation culturelle perpétue les mécanismes d’oppression, de colonisation et de privilège blanc.
En tant que pratiquant.e ou enseignant.e de yoga, il est primordial de s’éduquer, se renseigner, s’instruire, déconstruire, partager, rendre, écouter, laisser la place, honorer, rendre service, laisser la place, collaborer.
Le devoir d'inclusion : Un Yoga pour tous.tes
Face à cette situation, une question essentielle émerge : comment rendre le yoga plus inclusif et accessible à toutes les couches de la société ? Dans son essence, le yoga prône l'union, l'équilibre et l’harmonie, des principes qui transcendent les clivages sociaux. L'inclusivité dans le yoga signifie repenser les structures et les modèles économiques qui le sous-tendent. De plus en plus de voix s’élèvent pour promouvoir des formes de yoga accessibles à tous.tes, que ce soit par des cours à prix réduits, des espaces gratuits dans des centres communautaires, ou encore des initiatives en ligne pour démocratiser la pratique. Des professeur.es militent pour un yoga qui ne soit pas limité. Un autre aspect central de l’inclusivité est la réflexion autour de la décolonisation du yoga. Il est également essentiel de se sensibiliser, en tant que pratiquant.es et/ou professeurs.es de yoga à ces enjeux, pour qu’iels puissent contribuer à créer des espaces accueillants pour toute personne qui souhaiterait pratiquer. Un yoga véritablement inclusif est un yoga qui permet à chacun.e de se sentir à sa place, sans pression de performance ou de conformité à une image idéalisée, mais aussi qui rassemble et unit.
La performance dans le yoga n’est pas seulement liée à une quête personnelle de dépassement de soi, mais aussi à un cadre sociétal où l’image, la consommation et l’accessibilité sont au cœur des préoccupations. Finalement, la véritable essence du yoga, qui est d’atteindre l'équilibre, la sérénité et l’unité, se trouve souvent éclipsée par une vision capitaliste qui transforme une pratique spirituelle profonde en un produit consumériste. La performance, dans ce contexte, devient alors un moyen d'atteindre une validation externe plutôt qu'un chemin vers une transformation intérieure authentique.
Comme dirait notre cher B.K.S. Iyengar « le yoga n'est pas une performance, c'est une pratique de l'âme, un retour à soi, au-delà des apparences », et ça c’est profondément politique.
J’ai tenté d’écrire cet article pendant plusieurs semaines, simplement pour me rendre compte qu’un simple article, écrit par une personne, n’est jamais suffisant pour comprendre tous les enjeux autour de ce sujet. Je vous invite donc à vous renseigner, lire, parler, regarder des films et à échanger sur le sujet.
Quelques sources 🧡
Livres :
Nouvel esprit du capitalisme, Zineb Fahsi
Votre corps, Votre yoga, Bernie Clark
Yoga, une histoire-monde, Marie Kock
Politiser le bien-être, Camille Teste
Le « périlleux paysage du yoga » : Yoga Shalala, Jeanne Burgart-Goutal
Sites internet :
Podcasts :
Vivons heureux avant la fin du monde
Épisodes : Very bad Yoga : posture ou impostures ? // le yoga, c’est de droite ?
Casanaya
Épisodes : Saison 1 épisode 5 et 6 - “Le Yoga moderne, dérives ou opportunités?”
Salutations Yoga
Histoires de Yoga
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