Qu’avons-nous raté ? Une réflexion sur la fragmentation du yoga contemporain

Introduction : une discipline d’unité devenue terrain de division ?

Le mot yoga, du sanskrit yuj, est souvent traduit par "union", "lien", ou "intégration".

Et pourtant, jamais la pratique du yoga n’a semblé aussi divisée.

Méthodes en conflit, lignées revendiquées, formats monétisés, revendications identitaires : le yoga semble avoir glissé d’une expérience intérieure vers un système de différenciation.

Comment expliquer cette transformation ?

Qu’a-t-on perdu en chemin ? Et surtout, est-il encore possible d’en prendre conscience sans sombrer dans la nostalgie ou la condamnation ?

Une inflation des méthodes : symptôme d’un besoin de validation ?

Vinyasa, Iyengar, Kundalini, Prana flow, Dharma, Rocket, Jivamukti, Yin, Power, Hatha restauratif...

et maintenant : Yoga sculpt, Yoga fonctionnel, somatique, hormonal, Breath & Ice, yoga bière...

Une multitude de styles, dont certains se présentent comme "la version la plus authentique", d’autres comme "la plus adaptée à l’époque moderne".

Cette diversification est-elle une richesse ou une fuite ? Faut-il y voir l’adaptation naturelle d’une pratique plurimillénaire à des sociétés contemporaines mouvantes ? Ou un symptôme d’un besoin de se démarquer, de "posséder" une méthode, de créer une niche dans un marché saturé ?

L’anthropologue Sarah Strauss (2005) a montré que la diffusion mondiale du yoga a toujours été marquée par une adaptation culturelle : le yoga tel qu’il est pratiqué en Occident aujourd’hui est déjà un syncrétisme.

Marie Kock l’explique dans son livre “yoga une histoire monde” lorsqu’elle compare le yoga avec la pizza napolitaine. Plus la pizza devient célèvre, plus les diverses régions d’Italie ou d’ailleurs se revendique la vraie version authentique, traditionelle, originale.

Mais cette logique d’adaptation peut-elle encore être qualifiée de yogique lorsque la méthode devient le produit, et la pratique un prétexte ?

Le besoin d’appartenir : communauté ou identité de surface ?

Derrière chaque méthode se trouve une communauté. Un sentiment d’appartenance. Un vocabulaire commun. Une esthétique identifiable. Un fil Instagram cohérent. Mais à quel prix ?

Le philosophe Charles Taylor parle de la "reconnaissance" comme d’un besoin fondamental dans les sociétés contemporaines. Ce besoin, s’il est frustré, pousse les individus à chercher des appartenances nouvelles, y compris dans la spiritualité ou les pratiques corporelles.

Fonder une méthode, créer un concept, transmettre une pédagogie propre, peut être une manière de répondre à ce besoin.

Mais cette quête d’identité est-elle encore au service de l’expérience du yoga ? Ou finit-elle par supplanter le cœur de la pratique, qui ne dépend d’aucune méthode ?

Une confusion entre transmission et codification

En Occident, enseigner le yoga s’accompagne souvent d’une formation, d’une certification, d’un “script”.

Certaines écoles, moyennant argent, permettent aux futures professeurs d’écrire “prana flow®” sur leur planning - autremebt dit, font payer l’utilisation de la marque.

Ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose lorsque l’on recherche un certain type de cours, lorsque l’on a une certaine exigence.

La volonté de transmettre est-elle devenue une volonté de contrôler ? Peut-on transmettre une expérience intérieure à travers une grille figée, un protocole, un logo ?

Le praticien Simon Borg-Olivier interroge cette dérive lorsqu’il dit :
“Now I say: I still teach yoga — but I don’t teach ‘yoga’. Because if yoga is a state, it can’t be taught. Only revealed.”

Cette phrase résonne avec les écrits du philosophe Jiddu Krishnamurti, pour qui "la vérité est un pays sans chemin".

Si l’on pousse la réflexion, on pourrait se demander : à force de chercher à codifier le yoga, ne l’a-t-on pas figé ? Et si oui, qu’avons-nous figé exactement ?

Et la spiritualité dans tout cela ?

La spiritualité, c’est-à-dire ce qui relie l’individu à quelque chose de plus vaste que lui-même, est-elle encore au cœur du yoga ?

Jusque dans les années 50, lorsque Yogananda publie son livre best seller vendu à des millions d’exemplaires “autobiograohie d’un yogi” (1946), le yoga est encore non postural. Il vise à la libération de l’homme et des souffrances. Il n’est pas questions d’Asanas.

Cette spiritualité a-t-elle été remplacée par une quête d’efficacité, de santé, de bien-être personnel ? Est-ce grave ? Pas nécessairement. Mais cela mérite d’être interrogé.

La neurobiologiste Catherine Belzung, dans ses travaux sur la méditation, rappelle que les pratiques contemplatives peuvent avoir des effets neurophysiologiques mesurables, mais qu’elles ne se réduisent pas à cela. Une pratique vide d’intention, ou trop centrée sur le moi, peut en perdre la dimension transformative.

Est-ce ce que vit aujourd’hui le yoga ?

Faut-il continuer à parler de “yoga” ?

Certains enseignants choisissent de ne plus utiliser ce mot. Ils se disent alors, avec bcp d’humilité, professurs d’Asanas.

Est-ce grave ? Je ne pense pas.

Apr!s tout, pratiquer uniquelent l’Asana est déjà un bon début et peut permettre à nombvre de personne e trouver un peu de paix intérieure grace à la mise en louvement, à la régulation du système nerveux. Bref, bouger ne fera jamais de mal à personne.


Est-ce trop galvaudé, trop marketé, trop vidé de son sens initial de se dire enseignant de yoga ?

D’autres y tiennent, précisément parce qu’il porte encore en lui une mémoire ancienne, une promesse, un idéal.

Mais peut-être la question n’est-elle pas de garder ou d’abandonner le mot.

Peut-être la question est : comment, chacun à son niveau, réinterroge le sens qu’on lui donne ?

Plutôt que de dire ce qui est yoga, ou ce qui ne l’est pas.

Comment, dans sa pratique personnelle comme dans l’enseignement, revenir à l’expérience vivante — celle qui relie, plutôt que celle qui étiquette ?

Conclusion : vers un yoga sans signature ?

Il ne s’agit pas ici de condamner, ni de trancher entre “bon” et “mauvais” yoga.

Mais simplement d’ouvrir un espace de réflexion.

De poser les questions qui dérangent, sans chercher immédiatement des réponses.

De laisser émerger une autre forme d’écoute.

Et peut-être, humblement, de se rappeler que le yoga n’est ni un business, ni une méthode, ni une promesse de transformation.

C’est peut-être une manière d’habiter l’instant.

Et cela, aucun style ne peut le posséder.

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Yoga fonctionnel : approche novatrice ou définition tendance ?