Témoignage de Pauline, professeure de yoga : « le fantasme de la prof de yoga dans l’inconscient collectif ».
À propos de Pauline Maglione
Pauline est professeure de yoga, formée en Ashtanga.
Elle enseigne avec cœur, avec une conscience fine du corps et de l’espace intérieur.
À travers ses partages, elle invite à retrouver un yoga authentique, libéré des stéréotypes, ancré dans le respect et la transmission sincère.
Le fantasme de la prof de yoga : quand le regard des autres devient une charge
Je ne m’étais pas préparée à ça
En devenant professeure de yoga, je savais que j’allais devoir m’adapter à un rythme changeant : les pauses déjeuner écourtées, les imprévus, l’instabilité parfois.
C’est même ce qui m’attirait. Mais il y a une chose à laquelle je ne m’étais pas préparée :
le fantasme collectif qui entoure la figure de la prof de yoga.
Et ça, je crois qu’on n’est jamais vraiment prête.
Au début, je ne comprenais pas les sourires en coin quand je parlais de mon métier. Puis les années ont passé. J’ai vu Instagram évoluer : moins de vêtements, plus de filtres, moins de yoga… et plus de vide.
En parallèle, j’ai commencé à recevoir des messages de drague maladroite ou insistante, parfois dissimulée sous prétexte de yoga. Je me suis remise en question : Est-ce que je renvoie un message ambigu ? Est-ce que j’ai mal communiqué ? Et pourtant… non. Rien dans ma communication ne suggère autre chose que du yoga.
La ligne rouge
Un jour, l’un de ces hommes débarque à un de mes cours. Son regard est pesant, déplacé. Je me sens en insécurité. Je demande à ne pas rester seule après le cours. Je le bloque, mais il retrouve mon numéro, et tente à nouveau de s’inscrire. Cette fois, c’est mon compagnon – directeur de la salle – qui répondra pour moi. Fort heureusement, ça s’arrête là.
Puis vient ce dimanche soir. Je suis chez moi, avec mes enfants. Un message WhatsApp. Un numéro inconnu. Une photo non désirée, explicite. Je suis choquée, déstabilisée, envahie. Je n’ai rien demandé. Je suis dans mon salon. Et je reçois ça.
Le lendemain, je porte plainte. J’ai 41 ans, et une certaine docilité. Mais je pense à une jeune prof qui débute, à son innocence, à sa vulnérabilité. D’où ce témoignage qui vise à alerter les jeunes femmes qui ne sont pas préparées à cela.
Pourquoi ça nous arrive à nous, enseignantes de yoga ?
Pourquoi ces messages ? Pourquoi ces intrusions ? Je suis prof de yoga, pas influenceuse, pas modèle photo, pas dans la séduction. Jamais, dans mes précédentes activités pourtant en lien avec le public, je n’ai vécu ça.
Alors j’ai commencé à observer, à analyser ce que devenait notre métier. Un métier tourné vers l’humain, mais encore très peu encadré (pour rappel il n’y a ni fédération, ni certification ni reconnaissance par l’état). Une profession en plein développement, boostée par une certaine visibilité… parfois à double tranchant.
Car ce que je vois sur les réseaux m’interroge : de plus en plus de comptes de professeures de yoga, et paradoxalement, de moins en moins de vêtements.
Une hypersexualisation grandissante, qui finit par nourrir une image qui ne nous ressemble pas toujours.
Est-ce un jugement ou un questionnement ?
Je tiens à le dire clairement : Je ne remets pas en question la liberté des femmes.
La liberté se montrer, de s’exprimer, de choisir sa manière de communiquer - ce n’est pas le sujet ici. Chacun et chacune a son propre curseur d’intimité, et il n’est pas question ici de le juger ou de l’uniformiser.
Cette liberté individuelle ne doit pas faire oublier une chose essentielle : C’est avant tout à la société de changer de regard sur le corps des femmes. Ce n’est pas à nous de porter seules la responsabilité du fantasme collectif. Le problème ne vient pas de ce que les femmes montrent, mais du regard déformé qu’on pose sur elles.
Une développeur web m’a partagé un constat troublant : lorsqu’un homme crée un compte de social media, automatiquement, 50% de son contenu est sexué. C’est l’algorithme !
Je vous mets au défi de taper le mot yoga yoga sur les réseaux, et vous allez voir par vous même. Résultat : contenu hyper sexualisés, poses avec plein zoom sur les parties intimes, sex yoga… Donc yoga égal érotisme ? .
Et c’est là que le problème dépasse largement le cadre personnel. Ce n’est plus simplement « ce que les femmes postent ». C’est un système qui renforce activement certains stéréotypes, même malgré nous.
Donc une enseignante de yoga est forcément dans un jeu de séduction quand elle fait son métier ?
Et c’est nous, dans notre quotidien professionnel, qui en payons le prix.
Le fond a t-il disparu derrière la forme ?
Quand le body string remplace le tapis, quand la forme prend toute la place… C’est le fond qu’on oublie. Et c’est la profession entière qui est décrédibilisée.
Nous avons une responsabilité collective, femmes et hommes, face à ce que devient notre métier. Face à ce que les réseaux montrent. Face à ce que les algorithmes alimentent. Face à ce que la société continue de projeter sur nos corps.
Le yoga n’est pas incompatible avec des vêtements. Ce n’est pas la tenue qui limite la pratique. C’est l’attachement aux apparences, l’oubli du fond, le détournement de l’intention.
Comment rester alignées ?
J’enseigne le yoga et la philosophie qui se trouve derrière. Et je crois qu’on peut transmettre de la beauté, de la puissance, de la liberté… sans tomber dans le piège de l’image.
Notre sincérité, notre engagement, notre rigueur sont nos meilleurs leviers pour construire un enseignement plus responsable, plus cadré, plus sûr.
Même si notre chemin est parfois solitaire, je crois en la force du collectif. Je crois qu’ensemble, en partageant nos expériences, en prenant la parole, en nous interrogeant, nous pouvons redonner au yoga sa place véritable : un espace de transformation, d’alignement, de respect.
Et ça commence par là.